Si l'avenir n'est pas écrit selon la formule consacrée, rien n'est plus certain depuis la dissolution de l'Assemblée nationale par le président de la République le 9 juin dernier. "L'incertitude" est ce qui caractérise cette période électorale, remarque Thomas Marty, politologue et chercheur à l'Université de Limoges. Il nous livre son analyse du paysage politique local.
En tant qu'observateur de la vie politique, comment analysez-vous la décision de la dissolution de l'Assemblée nationale ?
Thomas Marty : La dissolution crée un épisode politique auquel on ne s'attendait pas et donc beaucoup d'incertitudes en politique. On remarque que l'extrême droite est à la main idéologiquement et la France suit ce qui se passe en Europe. Et puis, nous avons cette impression que tous les six mois, il y a une crise politique ou sociale. Avec la dissolution, le pouvoir politique rajoute de la crise à la crise.
Déjà, à la sortie des législatives en 2022, la dissolution a été évoquée comme une possibilité pour retrouver l'équilibre. Or, personne n'était préparé à cette possibilité, ça se voit à l'état de la désorganisation du monde politique, y compris dans le camp présidentiel. En Haute-Vienne, on voit que l'initiative de Guillaume Guérin, le président de la Métropole, est d'occuper un espace dans le centre pour lutter contre "les extrêmes", il a réussi à sortir des seconds couteaux et à créer la coalition "Initiative républicaine". De façon globale, les députés sortants (Stéphane Delautrette, Manon Meunier et Damien Maudet) n'étaient pas prêts à remettre leurs mandats en jeu et du côté des adversaires personne n'était prêt sauf le Rassemblement national qui (d'après eux) assurent qu'ils avaient une liste de candidats déjà désignés. D'un autre côté, la gauche représente une stabilité avec la coalition du Nouveau Front populaire.
Quels enseignements peut-on tirer des européennes ?
T. M. : En Haute-Vienne, il y a deux enseignements à tirer des européennes. D'abord que le Limousin se normalise par rapport au reste de la France et notamment parce que la droite républicaine n'a jamais été forte en Limousin. Et elle a tendance à être remplacée au fur et à mesure par une droite nationale. Pour ce qui est du second tour, les trois circonscriptions ont des chances réelles d'avoir des candidats du Rassemblement national. Comme ce qui s'est passé aux européennes, la campagne se fait autour de Jordan Bardella, il n'y a pas de raison que cette dynamique s'étiole et le vent national pourrait l'emporter. En revanche, le Limousin peut en être protégé mais dans les duels du second tour, le RN part avec un socle électoral énorme même si toute la droite républicaine ne les soutient pas. En Haute-Vienne, plus personne ne se revendique des Républicains. Même s'il n'y a pas eu une alliance complète de la droite pour le RN, il y a eu des candidatures "Reconquête". Nous n'avons eu ni de candidats marcheurs, ni de candidats qui se revendiquent de la droite républicaine. La droite est baillée pour quelques années. Sociologiquement, son électorat est représenté par le RN et Reconquête. Le deuxième enseignement est que quel que soit le vent, la gauche se maintient dans le Limousin comme une force d'ancrage.
Qu'en est-il de l'union des gauches ? Son élan peut-il l'emporter, la candidature de François Hollande peut-elle changer quelque chose ?
T. M. : L'offre des candidats est complètement différente lors de ce scrutin. Le fait que la Haute-Vienne soit un laboratoire de l'union des gauches et une terre symbolique sur laquelle peuvent s'allier les socialistes, les communistes, les écologistes et les insoumis, n'est pas étonnant. François Hollande aime le risque électoral. Par ailleurs, sa candidature démontre son envie de peser dans le rapport de force interne à gauche. C'est un spécialiste de la chose électorale, il aime le risque. Il se dit qu'il peut revenir et imposer le parti socialiste dans l'équation.
Quels sont les thèmes de cette campagne ?
T. M. : Nous avons une campagne courte et nous n'aurons aucun débat de fond. Pour ce qui est du programme des candidats, nous ne pouvons pas nous attendre à un débat sur la fiscalité par exemple. Or, si on juge nos candidats locaux, pour ce qui est des candidats RN, force est de constater qu'ils ont peu de maîtrise de l'économie. Sur la question économique, les candidats suivent le script national. Le RN est très protégé car son fond de commerce électoral est porté sur d'autres sujets. De manière générale, il n'y a pas de temps pour que des thèmes forts émergent. Dernièrement, il y a eu le débat sur la réforme des retraites... D'ailleurs, le RN a montré son rétropédalage sur cette réforme. Les candidats sont beaucoup sur la stratégie politique. Il y a des prises de position directes sur le pouvoir d'achat mais aucune formation politique ne propose de mesures fortes.
Quelle sera la dynamique électorale de ces législatives ? Le pronostic ? Le profil des électeurs ?
T. M. : Nous avons une vraie fracture au sujet du vote RN. Celui-ci a été fort dans les parties rurales de la Haute-Vienne. Sauf que, lors des européennes 2024, nous avons eu des bureaux de vote au sein de l'agglomération de Limoges avec un RN seul au premier tour à 30 %, ce qui est proche du score national. Ça veut dire que le Rassemblement national a franchi de nouveaux paliers, notamment chez un électorat populaire et une partie de cet électorat des quartiers périphériques... Certaines circonscriptions sont à cheval sur l'urbain et le rural. Ça veut dire qu'ils ont des réserves de voix partout. S'il n'y a pas de consignes de votes au second tour, ça risque d'être serré pour les députés sortants.
Votre pronostic pour le taux de participation aux prochains scrutins ?
T. M. : Compte tenu de l'enjeu, il se peut qu'il y ait une mobilisation importante pour se prémunir de l'extrême droite. Or, il ne faut pas s'attendre à une mobilisation exceptionnelle. On est aussi fin juin début juillet, c'est le moment où la population jeune est mobile. D'habitude, on est à 50 % d'abstention et sur cette élection, on sera peut-être vers 45 %.
Comment analysez-vous le vote du monde agricole ?
T. M. : En Haute-Vienne, le vote RN dans le monde agricole est un vote récent, voire tardif. Et dans un territoire où la Coordination rurale est en force, celui-ci n'est pas un vote minime. Dans le vote rural, il est important de souligner que le Rassemblement national a capté cet électorat avec un discours sur la protection de la ruralité et le maintien du service public dans les zones rurales, etc. À ce propos, la personnalité des candidats peut avoir un impact sur le sens du scrutin et ceux qui vivent autour de l'agriculture peuvent avoir un rôle majeur pour faire basculer les élections. La question que l'on peut poser est de savoir si le vote RN est une solution pour le développement de l'agriculture.